TEXTES

Bertrand  BEAUSSILLON

De la nuit la plus noire où le temps s’éteint au jour le plus illuminé de soleil, entre ces deux extrêmes il y a peu de gradations, de superpositions translucides dans les toiles de Bertrand Beaussillon ; tout au plus des lueurs évanouissantes, écliptiques qui débordent des plans sombres. Lumière émergente qui tente des trouées, s’offre des espaces mesurés et entame quelque peu le vide noir qui parfois n’est pas totalement rien, revêtant une plénitude cachée, une épaisseur ourlée, un mystère qui est toujours signe d’être. Le « Grand instant » de chaque vie bordé de néant s’accomplit dans la majesté et la grandeur de l’être. C’est ainsi que Bertrand Beaussillon, par sa peinture puissante, massive et étale fait écho à cette métaphysique, à cette opposition du rien et du mystère, du néant et de l’être par des aplats sombres chargés de zones sans fond et d’autres voilés de mystère et des espaces clairs, lumineux, s’étageant très limitativement des tons ocre à sableux.

Bertrand Beaussillon, originaire de La Charité sur Loire, habite Paris. Il a fait des études d’architecture aux Beaux-Arts et exerce aujourd’hui le métier d’architecte. Parallèlement il s’est toujours investi dans le dessin et la peinture et commença d’exposer en 1987 à Paris. Puis les expositions se sont succédé principalement dans la capitale et quelques grandes villes de France ainsi qu’en Italie…

Derrière l’abord le plus apparent de puissance, de force, la peinture de Beaussillon se révèle simple, humble, sobre, dépouillée d’artifice et ce n’est en rien contradictoire qu’elle apparaisse forte par sa simplicité et sa réserve, puissante par son humilité et son rayonnement, massive par sa présence… Et l’intérêt que nous voyons dans cette peinture est qu’elle nous dit que le monde est là, aussi mystérieux soit-il, il est là, qu’il est à vivre dans une attention sacrée, dans l’allégresse de l’instant où loge l’éternité. Mais dans ce monde présent, le passé et le futur s’estompent, les sens se brouillent, le bon sens se perd et comme dans les toiles de l’artiste nous manquons de repères normatifs, justes confrontés à la plénitude de l’être et au vide, au rien, sans compensation aucune, sans l’illusion d’un sens salvateur. Sans espérance ni désespérance, il y a le monde et non plus notre monde confectionné à notre mesure, il y a le monde majestueux et grandiose si réel que nous passons notre temps à le déréaliser, à le farder de nos mesquines intentions.

Desceller, bouger cette chape de plomb comme tente de le faire Beaussillon dans certains de ses tableaux, est chose salutaire ; chape sous laquelle on entrevoit un fond sablonneux presque rosé duquel émane comme une spiritualité retenue, une douce joie divine, illuminante, rafraîchissante comme une source claire.

Il faut se contenter d’indices, de traces, d’impressions et sans forcer, sans pousser à l’interprétation, à l’exemple des toiles de l’artiste, nous nous découvrons plein de mystère, aussi indéfini, aussi peu lisible dans notre totalité. Accepter des pans plus ou moins clairs, des signes de brume, regarder ce qui anéantit ou subjugue, ce qui signifie notre magnificence comme notre insignifiance, Beaussillon, à travers sa peinture, silencieusement, avec la veine d’un artisan consciencieux et appliqué, nous invite à une approche du réel sans barre d’appui, sans référence à des inductions sécurisantes et imagées, sans rêve, seulement l’unité possible d’une grandeur d’âme recouvrée.

Maurice-J ESTRADE

1999